Chargemente en cours de…

L’origine du projet

Comme origine de mon questionnement sur la place de l’artiste dans la société, dans la vie, un souvenir me reste en mémoire. Jeune père, j’accompagnais mon fils âgé de 2 ans et demi à ’école.
Un jour, l’institutrice, un peu préoccupée, me prend à part :
– Je trouve Rémi un peu rêveur…
Cette remarque pour un enfant de cet âge, m’étonna beaucoup.
Elle ajouta :
– Mais, quel métier faites vous ?
– Je suis musicien.
– Ah ! c’est pour ça, vous êtes en dehors des réalités! me dit-elle comme soulagée par son explication infaillible de la rêverie de Rémi.

La rencontre

Je me suis interrogé ensuite : comment l’artiste musicien s’insère-t-il dans le monde, lui qui a pour discipline quotidienne de longs moments de travail solitaire, presque en dehors du temps, pour travailler à la beauté, à la précision et à la justesse du geste, confronté à son art ineffable, la musique.
En écho de cette pratique qui implique la solitude, une technique, des rituels, j’aime parler avec des artisans de leurs métiers. Comment font deux musiciens pour se connaître? Ils jouent ensemble.
L’idée m’est venue d’en repousser les frontières avec des dialogues au sein de la cité. Les peintres ont représenté le labeur et son esthétique (Le bœuf écorché de Rembrandt ou de Soutine, Les ramasseurs de pommes de terre de Van Gogh, Les raboteurs de parquet de Caillebotte…) Mais le métier peut aussi se mettre en musique, au présent. Le langage nous fournit d’ailleurs des pistes de réflexion et d’imagination : le compositeur compose des pièces de musique et nous consommons la pièce du boucher; on peut filer un son ou une bobine…

La création

Partons d’un constat : Le monde du travail en souffrance. Le travail n’étant plus « un trésor », devient une « entité dénuée de substance  » Viviane Forrester. Rongé par la maladie du chômage, il s’est progressivement vidé de sa dimension de « beauté » (au sens propre et irrationnel, et au sens figuré : ce qu’il permettait de réaliser à tout un chacun, des choses belles, de « belles choses »).
Il faut reconquérir cette économie du beau. Montrer que le beau ne chôme pas. Dans ce projet nous irons à la rencontre d’un monde pas forcément convaincu par l’utilité de l’art et de ses financements, l’utilité de la recherche du beau, de cette quête sans objet.
« Regardez les gens courir affairés, dans les rues. Ils ne regardent ni à droite, ni à gauche, l’air préoccupé, les yeux fixés à terre, comme des chiens. Ils foncent tout droit, mais toujours sans regarder devant eux, car ils font le trajet, connu à l’avance, machinalement. Dans toutes les grandes villes du monde c’est pareil. L’homme moderne, universel, c’est l’homme pressé, il n’a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité, il ne comprend pas qu’une chose puisse ne pas être utile ; il ne comprend pas non plus que, dans le fond c’est l’utile qui peut être un poids inutile, accablant. Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutilité de l’utile, on ne comprend pas l’art ; et un pays où on ne comprend pas l’art est un pays d’esclaves ou de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit ; où il n’y a pas l’humour, où il n’y a pas le rire, il y a la colère et la haine. » Eugène Ionesco / Février 1961

La vision

Il s’agit de porter le regard, être à l’écoute du monde : un éveil des sens, échapper au pré-entendu, pré-vu, déjà-vu. A travers l’artiste, pour qui il est communément admis qu’il travaille sur la notion de beau, je veux faire la lecture de « la beauté du geste », du « bel ouvrage », comment l’artiste et l’institution portent un regard sur ce quotidien, se placent au cœur de la cité, dans ces petites choses du quotidien. Comment chaque art crée de nouveaux langages, de nouveaux matériaux (bruitisme en musique, performances…) Ce qui se passe chaque jour et qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment en rendre compte, comment l’interroger, comment le décrire? Par l’art.
Imaginons un duo entre un contrebassiste et un boucher dans sa boutique avec le mélange des sons et des odeurs, les techniques professionnelles, la beauté des gestes…
Imaginons l’accompagnement par un orchestre du travail des agents techniques de la ville pour la réalisation d’un espace vert ou d’un massif de fleurs…
Imaginons une pièce de musique sur une mise en plis faite par le coiffeur…
Imaginons les interventions d’un plasticien ou d’un danseur à partir des techniques et de la gestique spécifique d’un métier…
Puis, imaginons le fruit de ces rencontres transposé sur la scène de l’Opéra: le spectacle de la cité mis en scène par l’ensemble des intervenants. Parallèlement, une exposition photographique montrera ces rencontres en images.